Elle préfigure l'oeuvre de César ou de Louise Bourgeois.
Pour l'anecdote : Germaine Richier a habité avec sa famille la rue principale de mon village rue qui porte désormais son nom (je me demande bien pourquoi! ma foi!)
« Germaine Richier, la magicienne », Musée Picasso, Château Grimaldi, place Mariejol, Antibes (Alpes-Maritimes). Jusqu’au 26 janvier 2020, tous les jours, sauf lundi/
Le Monde, 9 déc. 19
Il y a soixante ans, le 31 juillet 1959, disparaissait Germaine Richier, juste au moment où s’ouvrait la dernière rétrospective conçue de son vivant, au musée d’Antibes.
Aujourd’hui, une nouvelle exposition au même endroit rend un juste hommage à celle qui fut une des plus grandes sculptrices de l’après-guerre. Certes, malgré des prêts généreux, elle est un peu moins riche que celle d’origine : Romuald Dor de La Souchère, le conservateur d’alors, avait pu réunir près de 120 sculptures.
Germaine Richier « dessinait dans la matière », elle incisait la terre, la transperçait parfois
On n’en est pas là aujourd’hui, mais son lointain successeur, Jean-Louis Andral, a su compenser les manques en montrant une autre facette, moins vue, de l’œuvre de Germaine Richier : les gravures.
Avec les dessins, elles permettent dans certains cas de constituer des ensembles très remarquables : ainsi L’Hydre, un bronze de 1954, est-il exposé avec sa version dessinée et sa version gravée, qui donnent une idée assez pertinente de la manière dont l’artiste pouvait travailler.
Elle « dessinait dans la matière », pour reprendre le titre d’un des articles du catalogue. Elle incisait la terre, la transperçait parfois, trouant une tête par l’arrière, en oblique, jusqu’à atteindre à l’avant l’orbite de l’œil pour y diffuser une lumière intérieure.
Née en 1902 à Grans (Bouches-du-Rhône), Germaine Richier a étudié à l’Ecole des beaux-arts de Montpellier dans l’atelier de Guigues, un ancien praticien de Rodin, puis à Paris auprès de Bourdelle.
C’est là qu’elle a rencontré son premier mari, le sculpteur suisse Otto Bänninger. En 1934, sa première exposition personnelle, à la galerie parisienne de Max Kaganovitch, lui valut la reconnaissance de ses pairs, qui avaient pour noms Despiau, Belmondo ou Gimond : Richier s’inscrit alors dans la lignée des sculpteurs néo-classiques des années 1930.
Animalité et métamorphoses
La guerre change tout cela. Elle la surprend alors qu’elle est à Zürich, et elle décide de rester avec son mari en Suisse.
Apparaissent alors ce que son second époux, le poète René de Solier, appelait les êtres hybrides. « Toute la bête, vivante, requiert son attention, avant de devenir objet et forme : c’est à partir de l’animalité, de ses métamorphoses, que nous est livré, depuis Le Crapaud, un monde que l’homme contesterait », écrit-il. Le Crapaud ? En fait une femme nue, accroupie et penchée en avant…
Mais, selon le poète, le prototype du reste de l’œuvre, où l’humain sera tour à tour confronté à l’animal et au végétal.
Une œuvre qu’il faut aujourd’hui regarder à la lumière de celle de Louise Bourgeois, qui lui est postérieure, et qui faisait dire à Picasso, s’adressant à Germaine Richier : « On est de la même famille ! »
En l’occurrence, quelque chose qui ressemble à la famille Addams… Une œuvre où la nature, qu’elle savait hostile et qu’elle qualifiait de « méchante », tente de se réconcilier avec cet autre « méchant » qu’est l’être humain.
C’est ainsi qu’elle est perçue après-guerre, et notamment par les Britanniques – Germaine Richier est à Londres en 1947, où elle reçoit des leçons de gravure de la part de Roger Lacourière, et expose à la Hanover Gallery, qui montre aussi Alberto Giacometti et Francis Bacon – qui la voient comme une représentante d’un art « existentialiste ».
Comme Louise Bourgeois, mais donc avant elle, ses femmes peuvent être des prédatrices, araignées, sauterelles, chauves-souris ou mantes religieuses
Il suffit de regarder la Tauromachie de 1953 pour s’en convaincre : une tête, un crâne plutôt, de taureau, est posée sur le socle. Une figure humaine s’en éloigne. Enfin, humaine, c’est vite dit : sa main droite se termine par une pointe aiguë, sorte de poignard acéré avec lequel on devine qu’elle a achevé l’animal, et sa tête est faite d’un de ces tridents dont usent les gardians de Camargue pour diriger leurs manades.
Comme Louise Bourgeois, mais donc avant elle, ses femmes peuvent être des prédatrices, araignées, sauterelles, chauves-souris ou mantes religieuses.
Elle-même n’est pas tendre. « Ses modèles, dit René de Solier, sont des proies », à quoi le critique anglais David Sylvester ajoute : « La performance de Richier est un moyen de découvrir à quel point ses victimes peuvent résister. » Et s’impose ce besoin de griffer, de creuser : il faut voir sur une photographie la drôle de tête que fait le modèle Libero Nardone, âgé, ventripotent et nu, face à l’artiste qui mesure l’écartement de son torse grâce à un compas de sculpteur aux pointes acérées. Le pauvre en avait pourtant vu d’autres : il avait posé pour le Balzac de Rodin !
Pierre Restany, qui fut un des grands critiques de l’après-guerre, disait de l’œuvre de Germaine Richier qu’elle dégageait une « sensualité primaire ».
Il est vrai qu’il avait des goûts, disons, sophistiqués… Mais ce qui est certain, c’est que sans elle, César, au moins à ses débuts, lorsqu’il soudait l’acier, aurait été orphelin.
Et qu’une part grandissante des femmes artistes d’aujourd’hui peuvent la revendiquer. Raison de plus pour faire le voyage d’Antibes, en attendant la rétrospective promise, un jour (qu’on espère pas trop lointain), par le Centre Pompidou.
"La Montagne", Bronze, 1955-56
"L'homme de la nuit"
"La Mante"
« Germaine Richier, la magicienne », Musée Picasso, Château Grimaldi, place Mariejol, Antibes (Alpes-Maritimes). Jusqu’au 26 janvier 2020, tous les jours, sauf lundi, de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures. 8 €.
Catalogue, éd. Hazan, 148 p. 29,95 €.
L’exposition sera présentée au Musée Beelden aan Zee à La Haye (Pays-Bas), du 14 mars au 7 juin 2020.