Voici une expo (tjs à Paris!) consacrée au peintre OTTO FREUNDLICH (1878-1943).
Comme ses dates de naissance et de décès laissent supposer, il est mort pendant la 2nde GM en déportation à Sobibor (dénoncé par un voisin français...)
Le Monde, 9 mars 2020
Exposition : Otto Freundlich, aventurier de la couleur
Le Musée de Montmartre rend hommage à l’artiste allemand, pionnier de l’abstraction, déporté et assassiné au camp d’extermination de Sobibor en 1943.
Par Philippe Dagen
"Composition" 1911
Une quarantaine d’œuvres sont exposées au Musée de Montmartre, pour la première rétrospective parisienne d’Otto Freundlich (1878-1943). Cela peut paraître peu. Mais Freundlich est une figure exemplaire à plusieurs titres : annonciateur d’un art nouveau, non figuratif, il croisa l’histoire des avant-gardes et celle, tragique, du XXe siècle.
En mars 1908 arrive à Paris un jeune Allemand qui n’a pas encore trente ans. Otto Freundlich est né en Poméranie dans une famille bourgeoise d’ascendance juive, et sa formation a jusqu’alors été exemplaire. Il a étudié l’histoire de l’art et la philosophie à l’université de Berlin puis à Munich, où il a entendu les cours d’Heinrich Wölfflin, dont il n’a pas oublié plus tard le goût pour les grands concepts très généraux dans le genre classique et baroque. A
Munich encore, il participe à la vie musicale et littéraire et rencontre des jeunes gens alors inconnus nommés
Kandinsky et
Klee.
Puis, comme tout étudiant consciencieux, il se rend à
Florence à l’été 1905. Comme il est aussi un jeune homme moderne, il traverse les Alpes à pied, selon l’usage mis à la mode par le mouvement des Wandervögel – oiseaux de passage – qui promeut l’émancipation loin des villes et de la société de l’Allemagne impériale. Il revient à Florence à l’hiver 1906-1907, où il crée sa première sculpture, un masque d’homme, ayant décidé de se faire artiste plutôt qu’historien de l’art.
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Or, vouloir être artiste, dans cette période, quand on est né en Europe centrale ou orientale, cela signifie venir à Paris – la ville de Rodin. Brancusi y est arrivé de Roumanie en 1905, Alexander Archipenko y parvient en 1908 et Jacques Lipchitz y sera l’année suivante. Freundlich s’y trouve donc au début de
1908, cherche un atelier et en trouve un au
Bateau-Lavoir à Montmartre, dont le précédent occupant, Georg Wiegels, vient de se suicider. Cet atelier est voisin de celui d’un artiste espagnol qui n’est déjà plus tout à fait un inconnu…
Pablo Picasso. En peu de temps, Freundlich rencontre les proches de son accueillant voisin :
Guillaume Apollinaire, André Derain, Georges Braque et les autres. Comme introduction aux cercles les plus « avancés », comme on dit alors, il est difficile de faire mieux et plus rapide.
Se renouveler par l’abstraction
C’est encore en raison de cet événement que la première rétrospective parisienne de Freundlich se tient au Musée de Montmartre, à peu de distance du Bateau-Lavoir. Ce n’est pas la première en France, le Musée Tavet-Delacour de Pontoise, qui conserve l’essentiel du fonds Freundlich, en ayant organisé une en 2009, mais c’est la première dans la ville où l’artiste a accompli l’essentiel de son œuvre, et l’on comprend mal pourquoi le Musée national d’art moderne ne l’a pas fait depuis longtemps. Freundlich est en effet, pour plusieurs raisons,
un membre essentiel des avant-gardes européennes de la première moitié du XXe siècle.
Il l’est en particulier parce qu’entre 1901 et 1911 une conviction indestructible prend possession de lui : l’art doit se renouveler par l’abstraction. Il a quitté le Bateau-Lavoir, mais n’est pas allé loin – 55, rue des Abbesses. Il y a un atelier plus vaste, avec une verrière perméable à la pluie, plus favorable que le précédent aux grands formats. Il y peint en 1911 Composition, carré de 2 mètres de côté, enchaînements de formes fuselées et courbes, chacune caractérisée par une nuance de vert, d’ocre ou de bleu. L’œil n’y reconnaît aucune figure humaine, bien que l’idée initiale de Freundlich ait été un groupe de corps nus dans différentes poses qui suggèrent des émotions variées.
Selon le format, le support, la technique et le moment, Freundlich fait vibrer différemment son instrument
Le chromatisme rappelle le cubisme de Braque et de Picasso vers 1908, mais, pour Freundlich comme pour Mondrian – qui arrive à Paris à la fin de cette même année 1911 –, l’intérêt du cubisme est de permettre de
s’affranchir de toute imitation de la réalité, ce qui n’est le cas ni de Braque ni de Picasso. Et, en s’en affranchissant, de chercher les moyens plastiques d’une abstraction qui s’adressait à l’esprit des hommes par les moyens directs de la ligne et de la couleur, sans devoir en passer par un réalisme ou un symbolisme :
autrement dit, un art de l’expression et de l’effusion spirituelle. Que Kandinsky commence en 1910, à Munich, l’écriture de son traité Du spirituel dans l’art n’a rien d’une coïncidence.
"la rosace II" 1941, gouache sur carton
Dès lors et jusqu’à ses dernières œuvres, Freundlich développe avec une cohérence absolue ses
expérimentations sur les pouvoirs de suggestion des formes colorées, qui sont toutes définies par des contours stricts – anguleux ou courbes, mais toujours continus – et une couleur unique. La composition générale est construite par un quadrillage irrégulier de quadrilatères de superficie variable ou par des courbes concentriques.
Freundlich prépare ce schéma par de petites esquisses au crayon où il écrit les noms des couleurs à l’intérieur des compartiments qu’il a ainsi déterminés, puis les peint, sans respecter nécessairement exactement la répartition chromatique prévue. Il déduit en partie cette méthode d’une
confrontation avec le vitrail, lors d’un séjour en 1914 dans l’atelier de restauration de la cathédrale de Chartres.
Mais ses œuvres n’ont pas la dureté du verre. Quand il peint à
l’huile, c’est dans une matière dense, qui réagit à la lumière et suscite des sensations quasi tactiles. Quand il travaille au
pastel, il tire parti du grain du papier et du poudroiement du pastel. La quarantaine de compositions abstraites rassemblées montre combien, à l’intérieur du système qu’il a conçu, Freundlich est capable d’introduire des tonalités psychiques différentes.
Selon le format, le support, la technique et le moment, il fait vibrer différemment son instrument.
Insuccès commercial
Mais Freundlich est aussi exemplaire pour d’autres raisons, historiques celles-ci. D’abord l’insuccès commercial,
la misère parce que son abstraction, dans le Paris de l’entre-deux-guerres, n’attire pas les amateurs. Il faut un appel et une souscription signés, entre autres, par les Delaunay, Arp, Ernst, Kandinsky, Léger, Braque et Picasso, pour qu’un Freundlich soit acquis pour les collections nationales, en 1937.
Freundlich va alors avoir 60 ans et crée depuis plus trente années. Or, si 1937 est l’année de l’Exposition universelle de Paris, occasion de cet achat,
c’est aussi celle de l’exposition de l’Entartete Kunst (art dégénéré) à Munich, manifestation qui circule ensuite dans les grandes villes du IIIe Reich.
Freundlich, juif, abstrait, antinazi, qui a été proche du spartakisme à Berlin en 1918 et qui est membre depuis 1933 de l’Association des écrivains et des artistes révolutionnaires (AEAR)
est, pour les nazis, le coupable parfait. Aussi est-ce une sculpture de 1912, sa Grande tête, qui est reproduite en couverture de la brochure qui fait office de catalogue de l’exposition. Elle appartient au musée de Hambourg depuis 1930 : circonstance encore aggravante.
La suite n’est que trop prévisible. Il cherche à obtenir la nationalité française et n’y parvient pas. A la déclaration de la guerre en septembre 1939, il est interné comme ressortissant d’un pays ennemi.
Relâché en février 1940, il se réfugie en juin dans le sud de la France. Picasso paie le loyer de l’atelier rue Henri-Barbusse, pour protéger les œuvres qui y sont stockées.
Freundlich cherche à émigrer aux Etats-Unis, mais sa demande n’aboutit pas, en dépit des recommandations en sa faveur. Il se cache dans une ferme à Saint-Martin-de-Fenouillet (Pyrénées-Orientales), où il tente d’écrire et de continuer à travailler. Dénoncé par un habitant du village, il est arrêté par la gendarmerie française le 23 février 1943, passe par Drancy, d’où part le 4 mars le convoi n° 50 vers les camps. Il sera assassiné à Sobibor le jour de son arrivée, le 9 mars 1943.
Avant la mort, une tentative de catalogue
Parmi les documents exposés au Musée de Montmartre figurent dix feuilles de dessins et de textes manuscrits peu lisibles : il s’agit d’une esquisse de catalogue de ses principales œuvres, réalisée par Otto Freundlich. Il dresse cette liste de mémoire, en 1941 ou 1942, probablement dans son refuge de Saint-Martin-de-Fenouillet (Pyrénées-Orientales).
Il sait alors qu’il ne pourra pas rejoindre les Etats-Unis, que personne ne viendra plus à son secours et que, s’il est pris, le sort de celui dont le IIIe Reich a fait l’archétype de l’artiste juif dégénéré est certain.
Des croquis sommaires de ses toiles sont accompagnés des titres, des dates de création, parfois des dimensions, parfois du lieu de leur exécution. Freundlich s’efforce de les ranger dans l’ordre chronologique, de 1907 à 1924. Quand il lui est impossible de dessiner une composition abstraite trop complexe pour cela, il la caractérise en quelques mots et détails. Ces feuillets sont alors le seul moyen qui lui reste de préserver la mémoire de son œuvre. Ils sont aussi un manifeste en faveur de la cohérence et du sens politique et moral de celle-ci. Terrible exercice rétrospectif, sous la menace de la dénonciation – qui n’a guère tardé.
« Otto Freundlich, la révélation de l’abstraction ». Musée de Montmartre, 12, rue Cortot, Paris 18e. Jusqu’au 6 septembre, tous les jours de 10 heures à 19 heures. Entrée de 7 € à 13 €.
Je ne connaissais pas ce peintre, d'ailleurs, je le découvre par hasard en lisant le journal.
Tragique destinée d'un homme d'Honneur, un créateur de rêves et de vibrations.... Les Humains...comme toujours.